© Bruce Hedge
David Holmgren - Aux origines
de la permaculture
David Holmgren et Bill Mollison. L’élève et le professeur. Les deux
concepteurs de la permaculture, cette méthode de design de systèmes soutenables
au destin international. Née en Tasmanie dans les années 1970 à la suite des
chocs pétroliers, elle a essaimé tout autour du globe depuis presque un
demi-siècle, hors des circuits académiques, changeant la vie de millions de
personnes et les aidant à construire une vie plus soutenable en prévision de la
grande « descente énergétique » à venir. Pablo Servigne raconte sa sacrée
rencontre avec David Homlgren...
Pablo Servigne, le 24 mai 2022 - # Magazine
Retrouvez cet
article dans Le numéro 9 de Yggdrasil
Au sommaire :
- Chronique de la renaissance : Des solutions pour l’après ? Petites et lentes !
- Entretien avec... : Pierre Déom, le grand-duc de La Hulotte
- Restons dans l'action : Gaël Musquet “L’effondrement, c’est si tout
va bien.”
- Le pas de côté : Les Bifurquants : premiers pas
- Sacrée
rencontre : David Holmgren Aux origines de la permaculture
- Enfance ancrée : Le détachement, avenir naturel de l’attachement
- En toute intimité : Un art de vivre, d’affiner, de mûrir sa
sexualité
- A votre santé ! : Le jour où j’ai cessé de craindre le soleil
- Sauvages
et populaires : Fidèle plantain
- Fait main : Un abri à hérisson
- Le low-tech de Barnabé : Vélo 4, 3, 2 roues ?
- Peuples racines, peuples premiers : L’art papou d’écouter la voix
de tous, même la plus petite
- Labor-oratoire : Les cinq saisons, L'été, activer la métamorphose
- Chronique d'effondrement extraterrestre : Rome... la vérité qui
dérange
Disponible en
librairies dès le 23 juin et dans près de 2.500 points presse à partir du 24
juin, il est également possible d'acquérir Yggdrasil #9 sur notre boutique en ligne.
Effondrement à la demande et renouveaux par David Holmgren, se préparer
à traverser des effondrements grâce à la gestion des crises climatiques
tropicales, ne plus craindre le soleil, le plantain, vélo version Barnabé
Chaillot, les secrets de l'art papou... Un Yggdrasil tout 9 pour entrer
dans l'été sans masque !
Date de parution : 23 juin 2021
140 pages
Recevoir Le
numéro 9 https://boutique.yggdrasil-mag.com/collections/yggdrasil-magazine-version-papier/products/yggdrasil-9
J’ai
connu David Holmgren par les livres, au milieu des années 2000. Un choc.
C’était à Bruxelles, à l’époque des débuts de l’agriculture urbaine, des
squats, des jardins collectifs… La permaculture était rhizomatique,
underground, vivante grâce à quelques rares formations données par les
pionniers.
Elle
était géniale, car elle apportait une vision systémique de l’action, ainsi que
des principes simples à appliquer à n’importe quoi. Des principes magnifiques,
issus du vivant et des peuples premiers.
À
partir de 2008, il y a eu le boom des Villes en Transition, du Britannique Rob
Hopkins, un formateur en permaculture… très influencé par David Holmgren. Le
cœur de ce mouvement international a toujours été de préparer la « descente
énergétique », ensemble, dans la joie, en construisant un monde que nous nous
permettions de rêver… et toujours très conscients des risques catastrophiques.
Pour Hopkins, une initiative de Transition sert à créer « des paysages comestibles »,
autrement dit de la permaculture à grande échelle.
David
et moi nous sommes parlés en mai 2021 par visioconférence, Covid oblige, mais
surtout car il vit en Australie et que nous voyageons peu. Avec lui, c’est
bizarre, il paraît si loin (8h de décalage), et pourtant si proche… J’ai eu
cette impression paradoxale de parler à un frère tout autant qu’à un grand
auteur, à un ancien… très jeune dans sa tête, à un praticien… super théorique.
Avec lui, tout est complexe et pourtant si fluide.
©
DR
PS • David, je suis très heureux d’avoir une
conversation avec toi. Pour moi, c’est une grande émotion de parler à l’une des
personnes qui ont le plus influencé ma vie et ma façon de penser ! Voici ma
première question : quelle était la motivation des jeunes – ainsi que la tienne
– dans les années 1970 en Australie ?
DH • Je pense
qu’il y a eu à la fois des peurs et des élans positifs, qui ont conduit à ce
que Bill Mollison et moi avons fini par appeler la permaculture. Ayant grandi
dans une famille très politisée à gauche (« radicals »),
j’étais habitué aux idées de lutte pour la justice sociale. Pour ma génération
issue du baby-boom et de la révolution « sex, drug & rock n’roll »
de la fin des années 1960 et du début des années 1970, il était difficile de se
rebeller contre ses parents… « cools », d’une
certaine façon.
Quand
j’ai croisé la route de Bill Mollison, ce n’était pas seulement lui et ses
idées que j’ai rencontrés, mais aussi son cercle d’amis, par exemple des
personnes qui construisaient dans leur cour des bateaux pour la haute mer
qu’ils avaient eux-mêmes conçus sur papier ! Et s’ils ne faisaient pas les
choses eux-mêmes, ils connaissaient quelqu’un qui pouvait le faire.
Pour
moi, c’était un monde très responsabilisant et motivant, ce monde de confiance
en soi et en la collectivité, plutôt qu’un monde de dépendance à un système
plus large.
Bill Mollison - © DR
PS • Tu as parlé de la peur. Quelle était-elle à
l’époque ? Le pic pétrolier ? L’apocalypse nucléaire ? Les pénuries ?
DH • Quand
j’ai emménagé chez Bill Mollison, en 1974, j’ai vu qu’il y avait des dizaines
de bacs contenant du riz, du sucre, des bougies, ainsi que des munitions pour
les fusils qui étaient accrochés au mur. C’était un foyer rural et il y avait
des armes à feu. Il stockait de la nourriture pour l’effondrement, et je lui ai
demandé : « Pourquoi le riz
blanc ? Pourquoi pas du riz brun ? » Et il a
répondu : « Oh, ça ne se
conserve pas comme le riz blanc. » [rires]
Il
y avait donc certainement une crainte à cette époque, après la publication du
rapport Les Limites à la
croissance (Limits to Growth)
en 1972, et, bien sûr, la crise pétrolière de 1973. Ce rapport parlait d’un
effondrement de la société industrielle pour le XXIe siècle, mais l’événement
de cette première crise pétrolière a montré à quel point la société moderne
était dépendante du pétrole et d’autres ressources en voie d’épuisement.
PS • Donc il n’était pas vraiment question de
nucléaire, de biodiversité ou de climat…
DH • Non, le
risque de guerre nucléaire était un élément constant de l’équation. La première
action politique dont je me souviens dans mon enfance a été de marcher 20
kilomètres de Perth à Fremantle pour l’interdiction de la bombe en 1962.
J’avais sept ans. Tout le monde était très conscient des risques de conflit
nucléaire pendant la guerre froide.
La
question du climat et de la destruction écologique était bien présente, mais
pas aussi forte que la question de l’épuisement des ressources et du nucléaire.
Tout
cela, combiné au mouvement de la contre-culture, a donné naissance aux «
communautés intentionnelles » et au mouvement du « retour à la terre », à
l’émergence des mouvements d’agriculture biologique et aux débuts de
l’environnementalisme, qui étaient très puissants en Tasmanie
© DR
PS • Le but de la permaculture était donc de créer
de la soutenabilité afin de répondre au risque de dépendance au pétrole, et
aussi de régénérer les écosystèmes…
DH • Le plus
grand enjeu était de reconnaître que l’agriculture était l’activité la plus
importante et la plus destructrice de la planète. C’est l’activité qui couvre
le plus de surface et qui est historiquement à l’origine de l’effondrement des
civilisations. L’industrialisation de l’agriculture a massivement étendu ces
menaces et a déconnecté les gens de leurs sources de subsistance, avec une
énorme dépendance aux combustibles fossiles… Un système où finalement plus
d’énergie entre dans le système alimentaire que ce qui en sort comme nourriture
!
Ce
paradoxe nous semblait très bizarre, étant donné que l’humanité a toujours
survécu grâce au fait que les humains mettent moins d’énergie à produire de la
nourriture que ce qu’ils en retirent ! [rires]
Les
deux premières idées de la permaculture étaient de remplacer la monoculture par
la polyculture et de remplacer notre dépendance à l’égard des plantes annuelles
(qui ne vivent qu’une année, comme le blé) par des plantes pérennes et surtout
des arbres, afin de répondre aux besoins humains de manière soutenable, de
manière « permanente ».
J’ai
donc rencontré Bill Mollison en 1974. Nous avons commencé à parler publiquement
des idées de la permaculture en 1976, et le livre Permaculture One a
été publié en 1978. Mais il est très intéressant de noter qu’en 1977, quinze
éditeurs ont approché un universitaire inconnu et acariâtre et un étudiant
diplômé totalement inconnu pour publier le manuscrit ! [rires]
Cela
montre l’intérêt qu’il y avait à l’époque pour ces idées. Les gens voulaient du
pratique, pour cultiver des aliments, construire leurs propres maisons, être
plus autosuffisants. C’était un vrai mouvement, une réponse populaire de base.
Certes,
nous étions désolés pour toutes ces choses plus importantes qui se passaient ailleurs
dans la société, mais il fallait bien passer par cette première étape. Le
succès de la permaculture peut s’expliquer par le fait qu’elle s’est saisie de
certains principes de vie (qui sont devenus des principes de conception),
qu’elle y a ajouté des principes éthiques des cultures indigènes et qu’elle a
mélangé tout ça de façon hybride avec la science et avec la modernité, avant de
les traduire dans notre langage.
Le plus grand enjeu était de reconnaître que
l’agriculture était l’activité la plus importante et la plus destructrice de la
planète. C’est l’activité à l’origine de l’effondrement des civilisations.
© Jesse Graham
PS • Parlons d’effondrement. Je sais que tu connais
bien le sujet, mais tu évites le terme. C’est pour toi une question de
stratégie. Tu préfères celui de « descente énergétique ». J’ai toujours compris
la permaculture comme un moyen de se protéger des effondrements et de naviguer
dans la « descente énergétique ». Alors, la permaculture est-elle une méthode
pour contrôler l’effondrement ou pour l’éviter ?
DH • Les deux.
D’une part, elle nous éloigne des forces qui nous poussent vers l’effondrement,
notamment la croissance de l’économie, la consommation de matériaux, une plus
grande dépendance aux ressources qui s’épuisent, l’utilisation de substances
toxiques, des pratiques qui endommagent la nature, etc.
Donc
en réduisant les impacts négatifs, on réduit la probabilité ou la gravité de
l’effondrement.
D’autre
part, elle permet de passer à un cycle régénérateur qui guérit, répare et
restaure. C’est-à-dire de construire des systèmes de survie à l’échelle de la
communauté et des ménages individuels. C’est l’idée des « canots de sauvetage
civilisationnels » (lifeboats)
qui peuvent s’emparer des éléments d’une civilisation défaillante pour
construire quelque chose, des radeaux, et ainsi trouver cette capacité de
naviguer à travers l’effondrement.
Bien
sûr, tout cela dépend de l’échelle de temps et de la vitesse de la transition
ou du changement, qui peut se produire à plusieurs niveaux.
La
raison pour laquelle j’utilise le terme « descente énergétique » plutôt que «
effondrement » (qui est très utilisé par les scientifiques) est qu’en anglais,
ce mot véhicule une idée de fin totale, comme une fin de l’histoire et une fin
du monde, en particulier à cause du millénarisme de la culture chrétienne
occidentale. La fin du monde matériel, la seconde venue du Christ.
Et
je voulais aussi faire ressortir la nuance dans la façon dont les choses
peuvent se produire, de manière plus graduelle, avec des phases de stagnation,
voire de croissance ponctuelle, dans un déclin lent et global. L’étude de cas
historique la mieux documentée que nous ayons est celui de l’Empire romain.
Cela nous a donné un modèle de ce déclin progressif où il y a ces crises, puis
une certaine stabilisation, une autre crise, etc.
Ce
changement continu, mais par à-coups, est comme ce que nous avons traversé avec
la croissance pendant des siècles. Depuis 500 ans ou même plus, si on remonte
jusqu’aux débuts des civilisations agricoles, cette croissance a obligé chaque
génération, au moins à l’ère moderne, à faire quelque chose de très différent
des générations précédentes.
Cette
idée se poursuivra à l’avenir. Et c’est l’une des grandes forces que nous
portons du passé : cette adaptation au changement. Cela donne l’espoir
d’arriver à vivre ce processus d’abandon progressif de la complexité, d’ouvrir
à la possibilité d’une décroissance ou d’une descente plus planifiée. Ceci dit,
je ne vois pas la grande « descente énergétique » comme un processus
intrinsèquement sous contrôle…
Les gens voulaient du pratique, pour être plus
autosuffisants. C’était un vrai mouvement, une réponse populaire de base.
PS • Le terme « descente énergétique » est très
intéressant, car il met l’accent sur l’énergie. Mais aujourd’hui, la plupart
des gens voient surtout le climat ou la biodiversité.
DH • Oui.
J’admets que l’un des inconvénients du terme « descente énergétique » est que
les gens pensent en termes simplistes d’approvisionnement en carburant pour
faire fonctionner des machines ou fournir de l’électricité, parce qu’ils
comprennent mal comment l’énergie nette disponible [l’énergie disponible après
extraction, ndlr] limite et détermine la capacité d’un système à croître à la
fois en termes d’échelle, de complexité organisationnelle interne et de niveaux
hiérarchiques d’organisation.
Les
gens ne comprennent pas que l’énergie est la mesure de ce qui est possible pour
l’organisation humaine, c’est une mesure clé !
Ce
manque de connaissances énergétiques et écologiques signifie que les gens, même
les écologistes, ont tendance à faire la même erreur que les économistes :
penser que l’énergie est juste une ressource particulière dont nous avons
besoin.
Par
exemple, l’un des symptômes de la descente énergétique est qu’une plus grande
partie de l’économie est axée sur la récolte, la distribution et le traitement
de l’énergie qu’auparavant. En d’autres termes, l’énergie semble peser de plus
en plus sur l’économie. Il y a plus de panneaux solaires, plus d’éoliennes,
plus de personnes travaillant sur l’énergie. Donc apparemment pas de pénurie
d’énergie !
Mais
en fait, l’énergie nette nécessaire pour soutenir toutes les autres complexités
de la société est en train de diminuer. Et donc la croissance de l’énergie et
de l’activité économique énergétique… est en fait un signal qu’il faut
économiser l’énergie ! [rires]
© DR
Scénario
« brown tech »
« technologies
brunes »
La lente descente énergétique permet le maintien de
structures de pouvoir puissantes qui paralysent tout changement. Politiques
centralisées, ultra-sécuritaires, militaires et inégalitaires. Les tensions
s’accroissent entre les différentes classes sociales, et le maintien du niveau
de vie des élites ne peut se faire qu’au prix d’un sacrifice environnemental et
social ahurissant.
Scénario « green tech »
« technologies vertes »
Réduction de la consommation de ressources (donc
une stabilisation du changement climatique) et faible croissance économique
grâce à la relocalisation de l’économie et à l’efficience des technologies.
Scénario
« earth stewardship »
« prise en
charge de la Terre »
Le déclin énergétique rapide met à genou l’économie
mondiale. Des communautés locales résilientes peuvent se créer à partir des
zones rurales (après exode urbain massif). Elles y parviennent grâce à des
techniques d’agroécologie et de permaculture, et surtout grâce au maintien
d’une certaine capacité démocratique locale. Plus personne ne croit à la
possibilité de maintenir la civilisation. Les gens y ont renoncé et travaillent
à créer autre chose de radicalement différent.
Scénario
« lifeboats »
« canots de
sauvetage »
Les chocs sont tellement rudes pour les sociétés
qu’elles ne parviennent pas à se reconstruire de manière stable et décente,
même à un niveau très modeste. Des petites enclaves permettraient à une
humanité réduite de traverser un âge sombre et d’espérer atteindre une
éventuelle renaissance quelques décennies ou siècles plus tard.
PS • Les gens te connaissent surtout pour la
permaculture, mais moins pour ton livre Future scenarios (2009,
non traduit), qui est très politique. Dans cet essai, tu décris quatre
scénarios en fonction de deux facteurs : la vitesse de la descente énergétique
et les impacts du changement climatique. Tu as appelé « brown tech » le
scénario où le niveau de consommation énergétique ne baisse pas, alors que le
changement climatique s’accélère. Qu’est-ce que c’est ? Après 12 ans, peux-tu
dire que nous y sommes ?
DH • Oui, je
pense que Future scenarios est
intéressant avec le recul historique. Il est clair que nous sommes dans un
déclin de l’énergie nette, mais il a été jusqu’à présent très graduel. Cela
pourrait toujours s’accélérer ou devenir soudain ! Mais cela signifie donc que
nous sommes en quelque sorte entrés dans les deux espaces que j’ai décrits
comme « green tech »
et « brown tech »
(pas de rupture énergétique).
Il
est très important de comprendre que ce ne sont pas des choix que font les
gens. Ces scénarios émergent à partir de deux moteurs, ou contraintes, que sont
l’énergie nette du pétrole et la gravité du changement climatique.
Et
depuis quelques années, c’est le changement climatique qui a été extrême, plus
que toutes les prédictions officielles. Cela signifie donc que nous sommes
passés au scénario « brown
tech » (« technologies brunes »).
C’est
ce que je disais dans mon essai Crash on Demand (2013,
non traduit), et c’est ce qui a été source de controverse. Surtout lorsque j’ai
exploré cette piste d’un krach de la demande pour faire s’effondrer le système.
L’idée, radicale, mais réalisable, est que si un certain nombre de
consommateurs deviennent responsables et autonomes (une minorité relativement
faible de la classe moyenne mondiale) et donc se décrochent du système
(provoquant une baisse de la demande), alors on aura peut-être une chance
d’empêcher le rouleau compresseur du capitalisme de précipiter le monde dans un
chaos.
C’est
pour moi un meilleur pari que de demander aux élites de tirer les bons leviers
politiques, ou de développer des technologies « vertes » par des mouvements de
masse.
Dans
le scénario « brown tech »,
les crises s’accélèrent à cause du climat, mais aussi à cause des instabilités
géopolitiques associées au climat et à la baisse graduelle de l’énergie nette
(des tensions sur les ressources). Si l’énergie nette diminue, cela signifie
moins de capacité à soutenir les plus hauts niveaux de l’organisation
hiérarchique mondiale, et toutes ces structures (ONU, Banque mondiale, etc.)
commenceront à devenir instables.
Le
pouvoir se relocalise, mais pas comme ce que nous voulons, toi et moi ou Rob
Hopkins [rires], non, il y a un retour de l’État-nation. C’est une conséquence
des crises climatiques, des pandémies et des conflits géopolitiques.
L’idéologie
du marché-qui-fournit-des-solutions est en train de se briser, et les
gouvernements découvrent qu’ils doivent trouver des réponses, au même moment où
les multinationales gagnent en puissance.
Forcément,
les réponses aux crises aggravent des crises. Je cite souvent le gouvernement australien,
qui décide de construire des usines de désalinisation de l’eau de mer pour
faire face à la crise de la sécheresse, afin de fournir de l’eau aux grandes
villes. Mais, ce faisant, elles augmentent les émissions de gaz à effet de
serre. Rétroaction positive. C’est pareil avec les très grandes structures en
béton pour protéger les villes de la montée du niveau des mers, etc.
Un
autre aspect, très important selon moi, est que les gouvernements se retrouvent
dans une situation contradictoire où ils ne peuvent pas assurer la sécurité
alimentaire ou les services d’électricité pour toute la population, comme ils
pouvaient le faire par le passé. Et donc ils encouragent les personnes
éloignées dans l’arrière-pays rural ou aux marges de la société à partir ou à
être autonomes (« débrouille-toi ») ou alors à revenir vers les villes, où le
gouvernement pourra s’occuper d’eux.
Cela
signifie donc que le système est en conflit interne. D’un côté, ça l’arrange
d’avoir à s’occuper de moins de personnes, mais, de l’autre, il a besoin d’une
masse critique de consommateurs pour rendre les systèmes viables.
Le
système d'approvisionnement alimentaire est centralisé. Le gouvernement fera
tout pour qu’il y ait de la nourriture dans les supermarchés. Ils ne laisseront
pas le système centralisé s’effondrer. Je pense qu’il y a deux choses que le
gouvernement fera jusqu’au bout : défendre les frontières et nourrir la
population. S’ils ne font pas ces deux choses, alors ce n’est plus un
gouvernement.
Mais
ces sociétés qui dirigent le système alimentaire centralisé, et qui ont besoin
de consommateurs, finiront par considérer les gens autonomes de la périphérie
comme une menace. Les gouvernements seront donc en tension, au milieu du jeu de
quilles. Et ce n’est pas un plan diabolique élaboré par de mauvaises personnes,
c’est juste un problème structurel du système.
©
Bruce Hedge
Principes
de permaculture de David Holmgren
Principes
éthiques
principes des
peuples premiers
- Prendre soin de la terre
(les sols, les forêts, l’eau, etc.)
- Prendre soin de l’humain
(soi-même, ses proches et la communauté)
- Partager équitablement
(limiter la consommation, redistribuer les surplus)
Principes
de design
principes du
vivant
- Observer et interagir
- Capter et stocker l’énergie
- Obtenir une production
- Appliquer
l’autorégulation et accepter la rétroaction
- Utiliser et valoriser les
ressources et les services renouvelables
- Ne produire aucun déchet
- Concevoir à partir des
grands motifs jusqu’aux détails
- Intégrer au lieu de séparer
- Utiliser des solutions
lentes et à petite échelle
- Se servir de la diversité
et la valoriser
- Utiliser les bordures et
valoriser les marges
- Face au changement, être inventif
Plus d'infos sur permacultureprinciples.com/fr et dans le seul livre en français de David
: Permaculture, Principes et pistes d’action pour un mode de vie soutenable, Rue de l’Échiquier, 2014.
PS • Ton dernier livre, Retrosuburbia,
est donc une réponse à cela ?
DH • Oui.
II y a des pays, dont l’Australie, où l’aménagement du territoire sépare
nettement la ville de la campagne, la vie très urbaine de la vie de village.
L’idée de Retrosuburbia a
été conçue pour ces pays avec de vastes zones résidentielles autour des villes
et villages, avec des maisons individuelles et des petits bouts de terrain, et
où il est possible d’avoir un certain degré d’autosuffisance.
L’idée
est que ces zones n’ont pas besoin d’être restructurées à grande échelle et de
manière très complexe, comme c’est le cas dans les zones urbaines denses, où il
est difficile de se lancer tant que l’ensemble de la société n’est pas
d’accord. Au contraire, dans l’environnement rural, il y a beaucoup plus
d’autonomie et de capacité à faire des choses, tout peut être transformé sans
trop dépenser d’énergie, progressivement et par les habitants eux-mêmes.
En
France, il est donc probable que le livre s’adresse plutôt aux villages et aux
petites villes.
PS • Quelle est l’excuse que tu ne voudrais surtout
pas donner à tes petits-enfants, sur ton lit de mort ? Ta pire excuse ? [Petit
clin d’œil au projet français Sorry children]
DH • [rires]
Eh bien… euh… Je suppose que ce serait de prétendre que nous ne savions pas ce
qui allait arriver ! [rires] Évidemment, on ne peut jamais savoir ce qui va se
passer dans le futur, mais c’est ça que je ressens, c’est ma réponse.
Tout
au long de ma vie, nous avons eu la preuve que la vie ordinaire des gens aisés
modernes était un crime contre la nature et un crime contre les générations
futures. C’était une prise de conscience impossible à vivre. Alors la plupart
des gens ont suivi un processus de déni.
Parce
que, par définition, la vie ordinaire et quotidienne doit être définie comme
bonne. Sinon, on devient fou.
J’ai exploré cette piste d’un krach de la demande
pour faire s’effondrer le système.
PS • Tu cites l’aphorisme « Collapse now
and avoid the rush » (s’effondrer maintenant et éviter la ruée), qui
est repris par beaucoup de « collapsniks » [des spécialistes du collapse dans
les autres pays, surtout anglo-saxons]. Il fait probablement référence au
slogan publicitaire « Achète maintenant et évite la ruée ». Peux-tu l’expliquer
pour le cas du collapse ?
DH • J’ai
vécu – nous avons vécu – comme si l’eau et la nourriture étaient précieuses.
Nous n’allons pas acheter des fruits à l’autre bout du monde. Nous choisissons
de ne pas sauter dans un avion pour aller donner une conférence.
Nous
agissons comme si nous ne pouvions pas le faire, comme si ces choses n’étaient
pas possibles. C’est ça le sens de « collapse now » (s’effondrer maintenant).
Il s’agit délibérément de ne plus profiter des avantages de la civilisation
industrielle.
Progressivement,
d’une contrainte, ça devient un plaisir, une nécessité. Dans un premier temps,
choisir de ne pas participer à quelque chose que tu aimes, puis, dans un
deuxième temps, en venir à ne plus l’aimer. Ça devient une meilleure manière de
vivre. Alors, quand ces choses disparaissent, ce n’est plus un problème.
Par
exemple, j’ai vécu toute ma vie en supposant qu’il n’y aurait pas d’aide
sociale pour ma vieillesse. Je m’y suis toujours attendu. Je n’ai pas de
pension de retraite. Et quand la pandémie est arrivée, notre entreprise a été
très affectée, mais nous avons fait une restructuration et nous n’avons pas
demandé d’aide au gouvernement.
Bon,
il est clair que ce n’est pas la même chose que de vivre un effondrement social
généralisé, car tu dois alors faire face à la souffrance des autres personnes,
des structures politiques et de tout le reste. Mais c’est quand même une
préparation psychologique qui nous amène à rire lorsqu’on voit des gens se
battre pour avoir accès au papier toilette ! [rires]
PS • Très belle chute ! David, c’était un honneur,
un bonheur. Merci beaucoup pour ton temps et pour tout ce que tu as fait.
J’adorerais te serrer dans mes bras… mais ça sera dans une autre vie, peut-être
! [rires]
Pour aller plus loin
- Permaculture
One: A Perennial Agriculture for Human Settlements,
Transworld Publishers, 1978 (avec Bill Mollison).
- Future
scenarios, How Communities Can Adapt to Peak Oil and Climate Change, Green
Books, 2009.
- Permaculture,
Principes et pistes d’action pour un mode de vie soutenable, Rue de
l’Échiquier, 2014 (la version anglaise date de 2002).
- RetroSuburbia:
The Downshifter’s Guide to a Resilient Future Hepburn,
Victoria: Holmgren Design, 2018.
- Plein
d’infos sur holmgren.com.au