Semences
LA SOLUTION EST DANS LA GRAINE
Réputé
pour faire pousser des légumes sans eau ou presque, Pascal Poot a consacré sa
vie aux semences. Cet autodidacte complet, qui a arrêté l’école à 7 ans, dresse
un constat alarmant sur notre alimentation. Son conservatoire héberge plus de
800 variétés et les formations qu’il délivre au Potager de Santé, chez lui,
dans l’Hérault, rencontrent un grand succès. Avec le soutien de chercheurs de
l’INRA notamment, il a pu mettre en lumière les qualités nutritionnelles et
écologiques de ses légumes. Prêt à perdre une grande partie de ses récoltes en
cas de sécheresse ou de maladie, il ne s’intéresse qu’aux plants ayant survécu
aux conditions les plus difciles, gageant que ces qualités de résistance se
retrouveront également dans leurs graines.
Par
Jérémie Attali. Photographies Olivier Metzger.
Comment l’idée
de créer des légumes plus résistants vous est-elle venue?
En observant ce
que l’on appelle les mauvaises herbes, qui en réalité étaient des légumes au
Moyen Âge, j’ai constaté qu’elles étaient résistantes au point que l’on
n’arrivait pas à s’en débarrasser. Et j’ai réalisé que si nos légumes ne sont
absolument pas aussi coriaces, c’est certainement parce qu’on les soigne tout
le temps. On leur donne de l’eau dès qu’ils en ont besoin, on les soigne
lorsqu’ils sont malades, ils n’ont donc aucune raison de développer des
résistances. Je me suis dit qu’il suffirait d’arrêter de les soigner…
Désormais, je ne m’occupe plus que de la terre : je les plante, et je les
laisse développer leurs propres résistances. Ça marche, mais il y a aussi une
autre raison à cela, à laquelle je n’avais pas pensé : tout ce qui sert de
système immunitaire aux plantes, les anti-oxydants, les polyphénols et même les
vitamines, se développe principalement en réaction à l’agression des UV. Donc
si on cultive des plantes issues de semences créées sous serres, où les UV ne
filtrent pas, les plantes, bien qu’elles le pourraient, ne développeront pas un
bon système immunitaire.
Ce système
immunitaire, est-ce ce dont nous avons besoin nutritivement dans ces légumes ?
Tout à fait. En
procédant ainsi, non seulement on n’a plus besoin de traiter les plantes
résistent au mildiou, à la sécheresse, à quasiment tout, mais en plus cela
profite aux gens qui les mangent. Car il y a bien plus de vitamines,
d’anti-oxydants et de polyphénols dedans que dans les légumes du commerce, y
compris ceux issus de l’agriculture biologique. Et tous les chercheurs
s’accordent à dire que les polyphénols sont parmi les molécules les plus
anti-cancéreuses que l’on trouve dans la nature.
Quelle est votre
formation ? Avez-vous eu un professeur, un maître ?
Non. (Il rit.)
Tout ce que je raconte et j’explique, je l’ai découvert seul. Parfois, des
copains chercheurs m’ont permis de mettre des mots, d’expliquer aux gens
certaines choses que je constatais par expérience et par intuition, mais que je
ne pouvais exprimer pleinement par moi-même.
Votre objectif,
au-delà de la préservation de variétés anciennes, est de rendre aux aliments
leurs vertus nutritives et curatives perdues par les industriels.
Il y a plusieurs
siècles, les légumes étaient pour la plupart considérés comme des plantes
médicinales. Cela s’est perdu parce que les variétés que l’on trouve dans le
commerce n’ont presque plus de valeurs nutritives, plus aucun intérêt. Les
anciennes variétés de céleri, par exemple, étaient cultivées par certaines
femmes afin de « revigorer » leur mari, souvent plus vieux qu’elles de vingt ou
trente ans.
Estimez-vous que
l’amélioration des variétés ne puisse se faire que par votre méthode
d’expérience adaptative ? Peut-on d’ailleurs considérer que vous « améliorez
génétiquement » les plantes ?
Il ne faut pas
tout mélanger ! Pendant 40 ans, tous les généticiens pensaient qu’à chaque gène
correspondait une propriété. Ils en ajou- taient, par croisements, pour amener
par exemple un « gène de résistance » à telle ou telle variété, et pensaient
que c’était seulement ainsi qu’on apportait une amélioration. Ils ont même
implanté des gènes du règne animal à des végétaux, pour changer l’ADN des
plantes. En réalité, chaque gène de plante peut avoir des milliers de fonctions
différentes, selon ce qui l’entoure. C’est ce qu’on appelle les effets
épi-génétiques. Et ces conditions peuvent déclencher des milliers de fonctions
différentes étant donné la quantité de gènes qu’il y a dans les plantes, on
parle des milliards de possibilités. Les effets épi-génétiques, selon moi,
c’est ce que personne ne comprend aujourd’hui. Tout ce que les plantes
apprennent pendant leur vie, elles le transmettent à leurs graines. Même chose
pour les humains : tout ce que l’on apprend au cours de notre existence, on le
transmet à nos enfants. Si l’on fait des enfants à 50 ans, ils connaîtront un
peu plus de choses que si on devient parent à 20 ans. C’est ce que l’on appelle
la mémoire génétique, même si chez les humains cela reste au niveau
inconscient. Si un médecin de 50 ans, qui a trente ans d’expérience, a un
enfant à cet âge-là, ce dernier aura bien plus de facilités à apprendre la
médecine. Si c’est la plomberie, c’est pareil. Ça ne veut pas dire qu’ils
auront envie d’être médecins ni plombiers, mais s’ils le veulent ce sera cent
fois plus facile, car inconsciemment ils connaissent déjà. Je l’ai observé avec
mes enfants. Les filles que j’ai eues à 50 ans sont capables d’énoncer les
vertus médicinales de certaines plantes que je suis certain ne jamais leur
avoir apprises, qui sont des plantes qui ne m’intéressent pas et que mon épouse
Rachel ne connait absolument pas. Pourtant, je les ai vues avec des stagiaires,
expliquer précisément leurs noms et leurs vertus. Les plantes, elles, n’ont pas
d’inconscient. Il suffit de ramasser les graines des plantes qui ont vécu le
plus longtemps possible : elles ont forcément appris plus de choses que les
graines des premiers fruits.
Les
variétés anciennes sont les semences de prédilection de Pascal Poot.
Pour autant leur
ADN n’est pas visiblement différent ?
Ce n’est pas
l’ADN qui est transformé. Ce sont des informations qui sont ajoutées. Depuis le
néolithique, tout le monde procède par soustraction. Prenons l’oignon de
Stuttgart, qui était autrefois très cultivé. J’en faisais pousser, petit. Une
fois récolté, je pouvais le conserver jusqu’au mois de juin. Désormais, si tu
arrives à le conserver jusqu’en février, tu as vraiment de la chance. Que
s’est-il passé ? Avant, cette variété avait quelques oignons ovales, mais la
plupart sortaient plats. J’avais même remarqué que les plats se conservaient
mieux. Mais les cuisiniers des grands restaurants ont demandé à ce qu’ils
soient plus ovales, car ils étaient plus faciles à peler. Les semenciers, n’ont
donc, pour faire des graines, replanté que des oignons ovales. La variété n’a
pas changé de nom. Ils l’ont rendue ovale. Mais ils ont éliminé sa capacité de
conservation. Ils ne l’ont pas fait exprès, mais ils sont contents de leurs
oignons ovales. On a toujours procédé ainsi avec les plantes. Ne garder que ce
que l’on voulait. Ne laisser se reproduire que celles que l’on préférait. De la
reproduction par soustraction. Moi, je fais exactement le contraire, je garde
toute la population, je ne m’en mêle pas. Et je fais en sorte qu’elles
apprennent de nouvelles choses. Ensuite, toute la population hérite de ces
capacités.
À quel point vos
semences sont-elles plus saines, plus qualitatives et productives ?
D’un point de
vue nutritionnel, les analyses y ont décelé 20 à 300 fois plus d’interêt que
dans les produits des semences que l’on trouve dans le commerce. Et d’un point
de vue technique, pour cultiver par exemple des tomates dans des climats
compliqués, comme la Bretagne ou la Normandie, les résultats sont très concluants.
Si elles attrapent le mildiou, ce qui est courant là-bas, elles n’en meurent
pas et continuent à produire. Et elles peuvent donner jusque fin novembre.
En Guyane, le
département français où les tomates valent le plus cher car elles viennent
toutes d’Europe, personne n’arrivait à en faire pousser car il pleut tous les
jours, et elles attrapent plein de maladies, même sous serres. Or certains y
ont planté nos semences récemment et ont eu des récoltes énormes, sans
constater aucune maladie. Nous avons aussi d’excellents retours d’Afrique.
Vous utilisez
toutes sortes de machines, tracteurs, etc. Vous êtes donc pour la technologie
moderne ? Cela ne va-t-il pas à l’encontre de votre image ?
Je ne suis pas
contre la technique. Je suis d’accord pour dire que l’on consomme trop de
pétrole, mais si on le réservait aux machines agricoles, il n’y aurait pas de
problèmes de pollution. C’est insignifiant par rapport aux bateaux, aux
voitures qui roulent à vide, aux avions, etc. Ce qui est problématique, c’est
plus la fabrication d’engrais à base d’azote. Cela revient à reproduire des
éclairs dans un process industriel, ce qui demande des quantités phénoménales
d’énergie électrique.
Comment
évaluez-vous la prise de conscience française et mondiale sur l’importance de
la vie des sols ?
Je ne crois pas
que beaucoup en aient vraiment pris conscience. Et ceux qui commencent à en
prendre conscience ne cernent pas bien le problème. Avec Claude et Lydia
Bourguignon, on est à peu près d’accord sur tout. À part qu’ils ont peut-être
sous-estimé l’importance des semences. Pour moi, c’est 50 à 75 % du problème.
Sans eau, les semences bio du commerce ne tiennent pas, même dans les meilleurs
sols.
Comment
pensez-vous que l’on en soit arrivé à un monde agricole qui se pose si peu de
questions vis à vis des intrants, et soit autant soumis à l’industrie
agro-alimentaire ?
Il y a beaucoup
de facteurs. Volonté politique, et industrielle, intérêts financiers…
Mais comment les
industriels ont-ils pu convaincre des gens qui avaient pourtant des savoirs,
des graines, et des « preuves de qualité » transmises par leurs parents et
leurs grands-parents ?
Ce n’est pas
compliqué. On les a mis à l’école. On leur a dit que les paysans étaient des
abrutis. Qu’ils ne devaient surtout pas faire leurs propres semences car ils
n’y comprenaient rien, et qu’il fallait faire confiance aux spécialistes. Du
coup, les enfants ont pris leurs anciens pour des « vieux cons », et c’était
terminé. D’ailleurs c’est resté, comme un lavage de cerveau, c’est encore une
injure de dire : « Toi, tu es un paysan. »
Des agriculteurs
utilisent vos graines aux quatre coins du monde. Suivent-ils les méthodes que
vous préconisez ?
Je ne fais que
donner des infos. Je ne sais pas s’ils les cultivent correctement, mais ils
sont très contents. À part quelques farfelus qui croyaient pouvoir jeter mes
graines sur des pierres sans jamais arroser, sans une goutte de pluie et se
plaignaient de ne pas obtenir de résultats, tout le monde est content, des
Hauts- de-France à la Corse, comme sur d’autres continents.
Comment avez
vous commencé votre collection de graines ?
J’ai commencé à
« faire » mon jardin vers 4 ou 5 ans. À 7 ans, je cultivais 300 m2, en
utilisant juste des outils à main. Déjà à l’époque, je gardais des graines. Il
y avait encore plein d’anciennes variétés dans le commerce. D’ailleurs on
retrouve toutes nos variétés, à part peut-être deux ou trois, dans le catalogue
Vilmorin de 1910 !
Qu’aimeriez-vous
expérimenter désormais ?
De nouvelles
plantes, comme les céréales, des plantes de grande culture, des pommes de
terre, pour les adapter à la sécheresse, ou aux excès d’eau. Car je sais qu’à
l’avenir, le monde entier en aura besoin.
Où en êtes-vous
de vos recherches ? Vous reste-t-il beaucoup à apprendre?
Oh ! (Il
sourit.) Cela va faire cinquante ans que je pratique et j’en apprends encore
tous les jours ! Il n’y a pas de limite, c’est un domaine infini.
Faut-il craindre
le réchauffement climatique ?
Ce dont je suis
sûr, c’est que c’est très mauvais pour les investisseurs des fonds de pension
américains et autres, car ils ne peuvent pas prévoir ce qu’il va se passer, et
risquent fort d’avoir des grosses pertes. À part ça, je pense qu’il faut être
capable de s’adapter. Que ce soit pour une plante ou une personne, celui qui ne
peut s’adapter est un mort en sursis. Le vivant, ce n’est pas ce qui parle, ce
qui pense, ni ce qui grandit. La seule définition valable du vivant, c’est la
capacité d’adaptation.
De quel œil
voyez-vous le « nouveau bio », le bio de grande surface ?
(Il hésite.) Je
ne vais pas le décrier, car au moins, cela évite des pollutions énormes aux
pesticides. Mais c’est loin d’être parfait. Il y a beaucoup de paysans
exploités et mal payés. Et ça n’a que peu d’interêt pour la santé. Si on fait
du bio mais que l’on cultive des hybrides sans aucun interêt nutritionnel… Bon,
déjà cela n’empoisonne pas. Mais cela pourrait être mieux.
Quel est votre
souhait pour la prochaine génération d’agriculteurs ?
Qu’ils soient
conscients de leur engagement. Si on le fait parce que l’on pense comme moi que
c’est le plus beau métier du monde, alors oui, le métier a un sens. Si l’on
pense à gagner de l’argent, il vaut mieux aller voir ailleurs.
Article Regain
n°2 Automne 2018
https://www.regain-magazine.com/produit/regain-n2/
La Solution Est Dans La Graine
Pascal & Rachel Poot
Article Regain N°2 Automne 2018